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HISTOIRE DU PARNASSE

laire parmi cette jeunesse agressive[1]. Remy de Gourmont met très haut son sonnet sur La Belle Viole[2] Laurent Tailhade le proclame un artiste « droit et superbe[3] ». Cela ne l’empêche pas de défendre contre eux l’art des vers ; mais il discute sans morgue, sans raideur[4]. Poète de la lumière vive, il tâche de distinguer quelque chose dans cette brume de la pensée. De Bretagne il écrit, le 21 octobre 1873, à un ami : « ne croyez pas un mot de ce que Mallarmé a pu vous dire de Douarnenez ; c’est un esprit trop exquis pour savoir jouir de la vie et de la nature[5] ». Il ne fait pas aux symbolistes des concessions de doctrine, mais il leur réserve un bon accueil à ses samedis ; il s’intéresse à leurs tentatives ; il ne demande qu’à admirer. Il reconnaît même que quelques-uns ont du talent, notamment, dit-il à Huret, « Henri de Régnier… ; il me paraît avoir de magnifiques dons de poète, qui seront visibles pour tout le monde le jour où il se débarrassera des langes du symbolisme[6] ».


CHAPITRE III
Le salon de Heredia

Heredia, après la mort de Leconte de Lisle, assure la continuité de l’École par goût pour la maîtrise, et aussi par piété envers son maître. Il était l’ami sûr, le confident, l’héritier désigné. C’est à lui que l’auteur des Poèmes avait légué son épée d’académicien ; Mme Leconte de Lisle lui offre en plus l’habit vert, ce qui émeut Heredia : « Madame et bien chère amie, je suis profondément touché du présent que vous me faites, qui est un souvenir bien précieux de l’ami et du maître si cher que j’ai perdu et que je n’oublierai jamais… Je vous suis bien reconnaissant de m’avoir jugé digne (et je crois l’être par l’affection, le respect et l’admiration)

  1. Verlaine, V, 468.
  2. Promenades littéraires, II, 60.
  3. Dans Le Temps du 13 octobre 1898.
  4. Retté, Le Symbolisme, p. 176.
  5. Ibrovac, p. 235.
  6. Enquête, p. 308-309 ; cf. Verhaeren, Impressions, III, 106-107 ; Henri de Régnier, Proses datées, p. 10-11.