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LA PERSISTANCE DU PARNASSE

d’être considéré par vous pour ainsi dire comme son fils[1] ». Il en est justement fier ; à l’Académie ses confrères remarquent en souriant qu’il porte cet habit avec un orgueil visible, « comme s’il eût reçu le manteau d’Élie[2] ». N’est-ce pas bien naturel ? N’a-t-il pas réellement reçu l’investiture ? Dès 1875, Leconte de Lisle voit en lui, non un rival, mais un successeur : « Heredia est déjà un maître, et il aime à donner des conseils[3] ». À la mort du Roi, les Parnassiens n’ont pas besoin de voter : par le droit du talent Heredia devient le Prince des poètes parnassiens.

Plus heureux que son prédécesseur il a presque tout de suite le palais qui convient à la fonction : M. Leygues le nomme administrateur de la plus littéraire des bibliothèques : à l’Arsenal, le Parnasse remplace le Romantisme. Heredia est heureux : il a un jardin, et dans ce jardin il y a un arbre ! Il y a aussi des hortensias ; le poète compte le nombre des bombes qui les fleurissent : 260[4] ! Une fois installé, il fait des heureux autour de lui : d’abord ses collaborateurs qui aiment ce conservateur illustre et peu gênant, puis les habitués de la bibliothèque, et jusqu’aux rhétoriciens de Charlemagne qui, d’abord épouvantés par ses éclats de voix, se rassurent vite, et lui soumettent leurs sonnets. Du reste, comprenant fort bien que l’État a voulu lui offrir un canonicat, il ne se laisse pas absorber par ses fonctions ; il leur consacre une heure et demie par jour, sauf le jeudi qui est réservé à l’Académie[5]. Le reste appartient à la poésie, et aux poètes.

Dans le salon de Charles Nodier, où venait causer et danser le Romantisme, maintenant le Parnasse vient lire des vers. Là où, jadis, Mme Nodier avait mis au service de la célébrité de son mari sa bonne grâce, son indulgence discrète, et son esprit, maintenant rayonne, avec sa splendeur de créole, celle en qui Heredia avait trouvé, pour reprendre le mot de René Bazin, l’idéale compagne de la vie[6]. Sur un panneau brille l’émail de Claudius Popelin, représentant le Conquistador Pedro de Heredia, sous les traits de José-

  1. H. de Régnier, Revue de France, 15 mars 1923, p. 395 ; Ibrovac, p. 168.
  2. Hanotaux, Sur les Chemins, II, 280.
  3. Mme Demont-Breton, II, 132.
  4. Hanotaux, Sur les Chemins, II, 289, 290. Je concentre à l’Arsenal les souvenirs de la rue Balzac et du quai Henri IV.
  5. Hanotaux, Sur les Chemins, II, 291 ; Jean Renouard, Figaro du 17 octobre 1925.
  6. Cf. mon Histoire du Romantisme, II, 2e partie, p. 130 ; Jean Renouard, Figaro du 5 mai 1928.