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HISTOIRE DU PARNASSE

Maria[1]. Celui-ci, artiste jusqu’au bout des ongles, fait les honneurs de ses œuvres d’art, car il aime toutes les réalisations de la beauté : statuette de marbre ou de bronze, tableau ou bibelot d’ivoire. Alors, ainsi que le lui rappelle Coppée en le recevant à l’Académie, « l’émotion de votre voix, l’épanouissement voluptueux de votre regard, la crispation caressante de vos doigts, tout trahissait en vous le plus délicat et le plus passionné des amateurs[2] ». Le poète réserve naturellement sa plus chaude tendresse pour les ouvrages bien reliés, prétendant que « les livres sont comme des êtres vivants : vêtus de peau ils frémissent sous la caresse… Le contact de l’épiderme, peau contre peau, les revivifie et les ranime ». Il les caresse longtemps, il les masse, et peu à peu le cuir rajeunit, redevient peau en s’attiédissant, et les gaufrures dorées, mais ternies, reprennent leur éclat[3].

Tel est le milieu où il pratique noblement l’hospitalité, cordial même pour un poète symboliste : « à peine, dit H. de Régnier, eus-je franchi le seuil de l’hospitalière demeure, et goûté l’accueil de l’homme délicieux et bon qui la remplissait de sa merveilleuse présence, je sentis que ce serait là un des beaux événements de ma vie… Heredia était debout. Je me souviens du brun, beau et affable visage, de l’accueil chaleureux, de la main cordialement tendue. Je me sentis soudain rassuré et à l’aise. Heredia me parlait de mes poèmes, y blâmant certaines nouveautés, et en admettant quelques-unes… Quand je partis, il me frappa sur l’épaule, m’invita à revenir… J’étais séduit, étonné, un peu ahuri, charmé de tant de bienveillance, d’entrain, de bonhomie noble et de haute politesse. J’étais conquis[4] ». Quiconque a du talent, fût-il hétérodoxe, trouve le chemin du cœur de ce grand parnassien. Marcel Prévost, au sortir de Polytechnique, va lui porter son premier roman, Le Scorpion : jugeant l’œuvre extraordinaire, le maître veut chercher lui-même, pour un pareil débutant, l’oiseau rare : un éditeur. Il va chez Lemerre et lui tient ce langage : « je vais t’envoyer un jeune littérateur de beaucoup de talent : fais-lui un traité magnifique, comme celui de Bourget, pour lui ôter l’envie d’aller autre part que chez toi[5] ».

  1. H. de Régnier, Revue de France, 25 février 1926, p. 805.
  2. Le Temps du 31 mai 1895.
  3. Hanotaux, Sur les Chemins, II, 284.
  4. Revue de France, 15 mai 1923, p. 388, et 15 février 1926, p. 804.
  5. Ibrovac, p. 179-180.