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LA PERSISTANCE DU PARNASSE

offrent beaucoup d’inscriptions consacrées aux Propertii, il est naturel de croire que c’est bien là le berceau de sa famille[1] ».

On pourrait encore prendre son édition savante des Carmina d’Horace, où l’érudition n’alourdit ni le sens littéraire, ni l’amour de la poésie : c’est un des monuments de l’actuelle renaissance classique[2]. Mais si l’on veut vraiment comprendre l’union de la science et de la poésie, leurs réactions réciproques, dans l’âme de ce poète, il faut remonter jusqu’à sa thèse de doctorat ès-lettres, ses Études critiques sur Properce. Le poète français étudie dans le poète latin son propre état d’âme, comme l’a bien vu Le Braz[3]. Sous la dialectique froide du savant, on sent le désenchantement du breton. Sa mélancolie est raisonnée : elle provient d’une psychologie pénétrante, et donc amère, car toute psychologie pénétrant jusqu’au fond du cœur de l’homme arrive jusqu’à la couche profonde d’amertume. C’est ainsi que dans cette thèse, vieille de plus de quarante-quatre ans, et aussi rigoureusement scientifique que les travaux actuels, passent des souffles de poésie lourds de la tristesse bretonne :


Bretagne, ce que j’aime en toi, mon cher pays,
Ce n’est pas seulement la grâce avec la force,
Le sol âpre et les fleurs douces, la rude écorce
Des chênes et la molle épaisseur des taillis ;

Ni qu’au brusque tournant d’une côte sauvage,
S’ouvre un golfe où des pins se mirent dans l’azur,
Ou qu’un frais vallon vert, à midi même obscur,
Pende au versant d’un mont que le soleil ravage.

Ce n’est pas l’Atlantique et ton ciel tempéré,
Les chemins creux courant sous un talus doré,
Les vergers clos d’épine et qu’empourpre la pomme ;

C’est que, sur ta falaise ou ta grève souvent,
Déjà triste et blessé lorsque j’étais enfant,
J’ai passé tout un jour sans voir paraître un homme[4].


La mélancolie de la Bretagne est peut-être une des sources les plus puissantes de la poésie française. Mais il s’agit de la capter,

  1. La Poésie latine, p. 38.
  2. Maurras, Barbarie et Poésie, p. 289-292 ; cf. Dupouy, Revue de France, 15 janvier 1926, p. 338 sqq ; Le Goffic, L’Âme Bretonne, III, 181.
  3. Plessis, Études critiques sur Properce, p. 283-284 ; Le Braz, Débats du 18 septembre 1897.
  4. Poésies complètes, p. 214.