Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/510

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
446
HISTOIRE DU PARNASSE

de la faire entrer dans les formes étroites et rigides de l’art. Tout jeune, et déjà poète de cœur, l’écrivain de dix-sept ans cherche un maître, et s’adresse d’abord à Louis Bouilhet qui lui répond par une lettre pleine de sagesse, de sens, et d’expérience personnelle : « la popularité peut suivre ceux qui se hâtent — la gloire est à ceux qui savent attendre[1] ». C’était déjà quelque chose ; mais voici l’influence décisive : un de ses amis, comme lui étudiant en droit, prête à Plessis le Parnasse de 1866 : c’est pour le néophyte, nous l’avons vu, toute une révélation. Les vers de Dierx surtout excitent son admiration pour l’œuvre, sa sympathie pour l’ouvrier. Plessis écrit au Parnassien encore obscur, et vivant dans l’amour désintéressé de son art : Dierx tombe de son haut en se découvrant un admirateur ; désormais le débutant va de temps en temps, le soir, chez le poète qu’il trouve toujours tout seul, en tête à tête avec sa pipe ; Plessis demande à Dierx de lui lire ses vers inédits ; bon apprentissage, qu’il paye son juste prix dans un sonnet de La Lampe d’argile[2].

C’est encore Dierx qui le présente à Heredia et à Mendès : ils l’emmènent au passage Choiseul. Heredia, avec sa bonne grâce habituelle, invite Plessis à l’aller voir avenue de Breteuil, et lui lit les Conquérants de l’Or. Enfin Calmettes, un de ses anciens camarades de Louis le Grand, lui fait faire la connaissance d’Anatole France, et cela devient, lentement, la grande amitié de sa vie littéraire. De son côté, France se prend de sympathie pour ce cadet du Parnasse, laborieux, rêveur, entêté, idéaliste, comme un Breton, surtout adorant le vers « pour sa mélodie mystérieuse, pour sa beauté secrète[3] ». Plessis semble avoir vraiment touché, par un charme particulier, le cœur sec de France : celui-ci, en août 1875, écrit, de Royat, à sa mère, qu’ils ont donné une soirée littéraire devant Autran, Laprade, E. des Essarts : « Frédéric a récité de beaux vers qui ont beaucoup plu[4] ». Avec une sincérité visible, France vante le poète savant à ses amis : sur l’Acropole, il dit à Ségur que Taine n’a vu de la Grèce qu’une partie, le culte du corps et de la beauté, l’amour de la science, et qu’il n’a pas découvert la grâce hellène : « peut-être faut-il avoir l’âme d’un poète pour

  1. Walch, Anthologie des Poètes Français Contemporains. (Delagrave, 1906).
  2. Poésies complètes, p. 42-43.
  3. La Vie littéraire, I, 164 ; III, 178.
  4. G. Girard, La Jeunesse d’A. France, p. 229.