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HISTOIRE DU PARNASSE

sentimentale. Agacé, Plessis l’interrompt : — mais vous-même, mon cher Maître, vous êtes avant tout un élégiaque, un sentimental ; vos plus beaux poèmes sont d’inspiration subjective. — Et il accable Leconte de Lisle avec L’illusion Suprême, Ultra Cœlos, Les trois Spectres, La Fontaine aux Lianes : — Et Djihan Ara, votre plus pur chef-d’œuvre, n’est-ce pas une élégie ? — Le maître s’arrête, et répond : — Vous avez raison. — Puis, se tournant vers France : — Plessis a raison ! — Anatole France est de cet avis ; il trouve même l’idée bonne, car il la reprend.dans un article sur Leconte de Lisle, sans citer sa source : « il y a pour le cœur de l’homme des émotions… intimes et douces ; et celles-là, quoi qu’on dise et quoiqu’il dise, ne sont pas absentes de son œuvre. Je n’aurais pas grand’peine à prouver que parfois M. Leconte de Lisle est un élégiaque[1] ». Leconte de Lisle l’est, en quelque sorte, malgré lui, et malgré ses principes. Plessis, lui, est élégiaque à plein cœur, parce qu’il est Breton, parce qu’il connaît André Chénier, Properce, et tous les élégiaques romains.) Mais son élégie est pure ; il pourrait répéter comme siens les vers d’Henri de Bornier :


Parfois, dans le doute ou le blâme,
À l’heure où les cieux sont couverts,
Une ombre me passait sur l’âme…
Mais l’ombre n’est pas dans mes vers.


Son élégie est une coupe où il verse la plus claire, la plus limpide tendresse de son cœur, sans que jamais on y trouve un arrière-goût de fadeur[2]. La pensée reste vigoureuse, trempée dans l’eau du Tibre. Il a mis en ses vers la force, la beauté romaine, condensées dans son Septime Sévère, prélude de La Lampe d’argile :


C’est dans Eboracum, où le ciel froid du Nord
D’un brouillard éternel baigne les murs de brique ;
Le soldat basané de la côte d’Afrique,
Sévère, est venu loin pour rencontrer la mort…

Mais le César sémite à la barbe de neige
Oppose, malgré l’âge et les infirmités,
L’invincible rempart des fortes volontés
Au dégoût, au remords peut-être qui l’assiège.


  1. La Vie littéraire, I, 105.
  2. Cf. Bény, dans les Poésies complètes, p. 207-208.