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LA PERSISTANCE DU PARNASSE


Il meurt, farouche et seul, de la mort des lions ;
Et lorsque le tribun de garde se présente,
Rouvrant avec effort sa lèvre agonisante,
Il donne pour dernier mot d’ordre : Travaillons…

À l’heure où nous voyons le but s’évanouir,
Tel fut ton jugement sur l’homme et sur la vie :
Une loi de travail tient la terre asservie,
Et le lâche, lui seul, refuse d’obéir.

La vie est pour nous tous une guerre sans trêve ;
Tant qu’on se bat encor, fût-il couvert de sang,
Nul soldat n’a le droit d’abandonner son rang.
Et de jeter pour fuir sa cuirasse et son glaive.


À la fin de sa longue carrière, F. Plessis peut relire ce prélude de toutes ses poésies avec un sourire de fierté ; il a gardé sa cuirasse et son glaive, il a combattu le bon combat. En 1903, dans ses Gallica, il mettait encore tout son talent, toute sa tristesse, et tous ses ressentiments. En 1921, dans La Couronne de Lierre, il écrivait une sorte de testament littéraire, où l’inspiration est aussi puissante que l’art est exquis :


Omnia fert ætas


Vous nous quittez un jour, ô vous Muses aussi !
Dernière vanité dont nous ayons souci,
Don de tout voir en beau, de tout mettre en images,
De montrer les vieillards sous le manteau des mages
Et la jeunesse avec une rose aux cheveux ;
Don de tout transformer : en un parc merveilleux
Le jardin, en château la maison familière,
La source en Hippocrène, et de prendre le lierre,
Sous lequel un vieux mur se déjette et se rompt,
Pour celui dont jadis se couronnait le front
D’Horace en ses banquets ou du divin Virgile…
Je ne le nierai pas : vous m’avez été douces.
Mais je vous dis adieu, puisque vous le voulez,
Et que des rêves morts et des jours écoulés
Et du vol frémissant de ma jeune Chimère
Rien ne subsiste plus qu’une mémoire amère.
Et sans doute il convient qu’au départ ceint de fleurs
Et sonore de chants joyeux ou querelleurs,
Vers la rive natale, après la longue absence,
Sur l’eau triste du soir l’esquif rentre en silence[1].


  1. La Couronne de Lierre (Jouve, 1921), p. 162-163.