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HISTOIRE DU PARNASSE

Veuillot seul allait plus loin : — Jocrisse à Pathmos ! — Hugo ne pardonna ni à l’un, ni à l’autre : invité à assister aux funérailles de Gautier, il resta à Pathmos, et laissa à son fils le soin de le représenter, ce qui suffisait pour « un disciple bien dévoué », comme disait François Hugo avec une candeur filiale : « Touchante niaiserie ! » remarque Dreyfous[1]. En effet, Gautier n’était plus l’élève de Hugo ; il était devenu, à son tour, sinon le chef du Parnasse, du moins son inspirateur.

Théo a toutes les qualités qui font un entraîneur de poètes : il en a même une de trop, car c’est un merveilleux improvisateur, à faire pâlir Glatigny[2]. Le don de l’improvisation est un perfide conseiller de platitudes, témoin Lamartine. Et pourtant cette dangereuse facilité permet à Gautier d’improviser des vers délicieux qui semblent l’effet d’une longue recherche, tant ils sont près de la perfection[3]. On les lit au milieu des œuvres les plus travaillées du maître sans pouvoir se douter que ce furent les songes d’une soirée d’été. Un Banville, un Hugo même, eussent usé, abusé de ce don prodigieux. Le grand artiste, lui, ne voyait là qu’un point dè départ pour aller vers cette perfection qu’il enseignait par ses préceptes et par son exemple. Quelles sont ses étapes dans sa marche vers la beauté ?

Il part de son amour pour la beauté pure. Il ne la trouve pas dans l’homme : « l’homme est laid, dit-il à Bergerat, partout et toujours, et il me gâte la création[4] ». Théo, qui est pourtant beau comme un oriental, n’est guère content de lui-même : un jour que Maxime Du Camp lui demande quel don il aurait voulu posséder, il répond : la beauté[5] ! Déçu, Gautier cherche, âprement, ce qu’il n’a pu trouver dans l’humanité : « j’ai usé ma vie à poursuivre, pour le dépeindre, le Beau sous toutes ses formes de Protée, et je ne l’ai trouvé que dans la nature et dans les arts[6] ». Pour peindre la nature, Gautier ne se sert que des données de la vision ; il laisse les autres paysagistes faire appel à tous les sens, à toutes les sensations[7]. À

  1. Ce que je tiens à dire, p. 334-335.
  2. Poésies, II, 252 ; cf. de Spœlberch, Histoire, II, 349-352 ; Bergerat, Th. Gautier, p. 98-99.
  3. Poésies, II, 238 ; cf. Judith Gautier, Revue de Paris, Ier avril 1903, p. 631-632.
  4. Bergerat, Th. Gautier, p. 128.
  5. Souvenirs, II, 381 ; cf. ses lettres familières, publiées au Mercure de France par Henri Boucher, no  du 15 mai 1929, p. 109.
  6. Bergerat, Th. Gautier, p. 128.
  7. Goncourt, Journal, VI, 318.