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HISTOIRE DU PARNASSE

Salluste ! Comme artiste, Baudelaire se dégage du romantisme. Après avoir imité Musset dans ses fâcheuses négligences, il songe à écrire sur lui un article sous ce titre : L’École mélancolico-farçeuse[1]. Il reproche à un journaliste de Lyon, Armand Fraisse, qui a un goût exquis, son admiration pour l’auteur des Nuits : « Excepté à l’âge de la première communion, je n’ai jamais pu souffrir ce maître des gandins, son impudence d’enfant gâté qui invoque le ciel et l’enfer pour des aventures de table d’hôte, son torrent bourbeux de fautes de grammaire et de prosodie, enfin son impuissance totale à comprendre le travail par lequel une rêverie devient un objet d’art[2] ». Leconte de Lisle eût contresigné avec joie cette exécution, comme aussi celle de Victor Hugo, où éclate une sorte de haine. Leurs premières relations sont pourtant bonnes ; Baudelaire publie dans la Revue fantaisiste du Ier août 1861 une longue étude pleine de respect, d’admiration, et d’amour[3]. En revanche, Hugo le soutient, fort dignement, à la condamnation des Fleurs du Mal[4]. Reconnaissante de son côté, Mme Hugo est parfaite pour Baudelaire quand elle le retrouve à Bruxelles[5]. Arrivé dans cette ville à son tour, Hugo se montre charmant pour le collaborateur de La Revue fantaisiste[6]. Et celui-ci se déclare excédé de ces amabilités[7] ! Et brusquement sa fureur éclate, dans une lettre à sa mère, du 8 mai 1865 : « J’ai été contraint de dîner hier chez Mme Hugo avec ses fils. Mon Dieu ! qu’une ancienne belle femme est donc ridicule quand elle laisse voir son regret de n’être plus adulée ! Et ces petits messieurs, que j’ai connus tout petits, et qui veulent diriger tout le monde ! Aussi bêtes que leur mère, et tous les trois, mère et fils, aussi bêtes, aussi sots que le père[8] ! » Cette rage est écœurante, quand on pense que, en même temps, Baudelaire demandait à Hugo une préface pour son étude sur Gautier[9]. Et cela continue : Baudelaire publie dans Le Boulevard du 20 avril 1862 une étude des Misérables, froidement élogieuse, avec une simple restriction

  1. Crépet, Baudelaire, p. 24, et 91 en note.
  2. Lettres, p. 140.
  3. Œuvres, III, 329.
  4. Correspondance de Hugo, II, 217 ; cf. la lettre à Mme Aupick, Revue de Paris, Ier novembre 1917, p. 638 ; Crépet, Baudelaire, p. 380.
  5. Revue de Paris, Ier novembre 1917, p. 638 ; Crépet, Baudelaire, p. 380.
  6. Crépet, ibid., p. 394.
  7. Revue de Paris, Ier novembre 1917, p. 624.
  8. Revue de Paris, Ier novembre 1917, p. 618.
  9. Porché, La Vie douloureuse, p. 250-251. Crépet, Baudelaire, p. 88 ; Baudelaire, Œuvres posthumes, p. 403 ; Revue de Paris, Ier novembre 1917, p. 624.