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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/104

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ma sœur.

mée. Mon père tourna d’abord la chose en badinage, puis il condescendit parfois à des explications raisonnables, sur la nécessité qui incombait à chacun de vivre dans ses terres, à l’époque agitée que nous traversions. Abandonner ses propriétés en ce moment, équivalait à la ruine de la famille. Aniouta ne savait que répondre à ces vérités, mais sa situation n’en devenait pas plus agréable, et sa jeunesse, pensait-elle, ne recommencerait pas. Après des conversations semblables, elle s’enfermait dans sa chambre, et pleurait amèrement.

Chaque hiver, cependant, mon père envoyait ma mère et ma sœur passer un mois ou six semaines à Pétersbourg, chez nos tantes. Mais ces voyages coûtaient cher, et ne remédiaient guère au mal. Ils excitaient le goût d’Aniouta pour les plaisirs et ne l’apaisaient pas : un mois à Pétersbourg passait si vite, qu’elle avait à peine le temps de se reconnaître. Personne, dans la société qu’elle fréquentait, ne pouvait diriger son esprit vers un but sérieux ; et quant aux partis sortables il ne s’en présentait pas. Tout se bornait donc à lui faire de jolies toilettes, à la mener trois ou quatre fois au théâtre, au bal de l’Assemblée de la noblesse, ou à quelque soirée donnée en son honneur par une personne de la famille, et à la combler de compliments sur sa beauté ; puis, à peine mise en goût, on la ramenait à Palibino : et là elle reprenait sa vie ennuyeuse, oisive, isolée ; ses longues heures de promenade à travers les grandes chambres vides, repassant dans sa pensée