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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/105

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sophie kovalewsky.

les plaisirs écoulés, et rêvant passionnément et inutilement à de nouveaux succès.

Afin de remplir un peu le vide de son existence, ma sœur se créait sans cesse quelque nouveau sujet d’un intérêt purement artificiel ; et comme, autour de nous, la vie intérieure était pauvre pour tous, chacun se jetait avec ardeur sur les idées d’Aniouta pour y trouver un aliment à la conversation et à la discussion. Les uns blâmaient, d’autres approuvaient ; mais une interruption à la monotonie habituelle de l’existence était la bienvenue.

Lorsque Aniouta atteignit l’âge de quinze ans, son premier acte d’indépendance fut de s’emparer de tous les romans contenus dans notre bibliothèque de campagne, pour les absorber en quantité prodigieuse. Nous n’avions pas de livres « mauvais » heureusement, mais les œuvres médiocres et sans valeur abondaient. La principale richesse de notre bibliothèque consistait en de vieux romans anglais, pour la plupart historiques, dont l’action se passait au moyen âge, à l’époque de la chevalerie. Ces romans furent une révélation pour ma sœur. Ils lui découvrirent un monde merveilleux, inconnu pour elle jusque-là, et ouvrirent un champ nouveau à son imagination. Elle recommença l’histoire du pauvre don Quichotte, crut comme lui à la chevalerie, et s’imagina être une demoiselle du vieux temps.

Par malheur, notre maison de campagne, une construction massive et d’énormes dimensions, avec une tour et des fenêtres gothiques, avait un faux air