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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/113

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sophie kovalewsky.

tuelles. Quant à moi, je perdais l’envie de me réjouir en voyant ma sœur ainsi et, honteuse de mon peu d’esprit de pénitence, je lui enviais la force et la profondeur de ses sentiments. Cet accès de dévotion ne fut cependant pas de longue durée. Le 5 septembre approchait : c’était la fête de maman, et ce jour était toujours célébré dans notre famille avec une certaine solennité. Tous nos voisins, à cinquante verstes à la ronde, se rassemblaient chez nous. On réunissait parfois jusqu’à cent personnes, et on préparait toujours, à cette occasion, quelque réjouissance extraordinaire : un feu d’artifice, des tableaux vivants, ou un spectacle d’amateurs. Les préparatifs se faisaient naturellement longtemps à l’avance.

Ma mère aimait à jouer la comédie ; elle la jouait bien et gaiment. On nous avait installé, cette année, un théâtre avec coulisses, décors et rideau. Nous avions dans le voisinage quelques vieux amateurs qu’on pouvait toujours prendre comme acteurs. Ma mère eut donc envie de monter une pièce ; mais à cause de sa fille, déjà grande, elle n’osait en montrer un désir trop personnel, et préférait mettre Aniouta en avant. Et, comme un fait exprès, voilà Aniouta plongée dans une dévotion presque monacale !

Je me rappelle les façons tout à la fois prudentes et timides de ma mère avec Aniouta, pour lui faire adopter son idée. Ma sœur ne s’y décida pas aisément, et commença par témoigner son mépris pour de semblables divertissements : « Quelle affaire ! et à quoi bon ? » Enfin elle donna son assentiment de l’air