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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/116

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ma sœur.

tion est de laisser peu de vestiges. Un paléontologue, par exemple, trouve, en étudiant une couche géologique, de nombreuses traces fossiles d’une époque dont la faune et la flore sont bien caractérisées ; il s’en peut former une image ; mais qu’il passe à une autre couche, le voilà en présence de types nouveaux, d’une formation toute différente ! Comment cette transformation s’est-elle opérée ? Il n’en sait rien.

Les habitants de Palibino vivaient tranquilles et calmes, grandissant, vieillissant, se querellant et se raccommodant ; pour passer le temps, ils discutaient des articles de journaux et des découvertes scientifiques, pleinement convaincus toutefois que ces questions appartenaient à un monde inconnu, lointain, avec lequel leur vie habituelle ne serait jamais en contact immédiat… Et soudain sans qu’ils sachent comment, les indices d’une fermentation étrange se produisent à leurs côtés, menacent d’ébranler jusque dans ses fondements l’ordre de leur vie calme et patriarcale. Et le danger ne menaça pas un point particulier, il sembla attaquer tout à la fois.

La période de 1860 à 1870, on peut le dire, vit presque uniquement une seule et même question agiter les couches intelligentes de la société russe : celle de la scission dans les familles entre jeunes et vieux. S’il arrivait de demander à cette époque des nouvelles de quelque famille noble, on recevait presque toujours la même réponse : « Les parents sont brouillés avec leurs enfants ». Et ces brouilles n’avaient pour cause aucune difficulté matérielle ; il