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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/117

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sophie kovalewsky.

ne s’agissait que de dissidences théoriques du caractère le plus abstrait. « Leurs convictions diffèrent » ; c’était tout : mais ce tout suffisait pour séparer les enfants des parents, et pour rendre les parents hostiles ou indifférents à leurs enfants.

Les enfants, surtout les jeunes filles, devenaient la proie d’une manie épidémique : la désertion de la maison paternelle. Notre voisinage immédiat en avait été exempt jusque-là, grâce à Dieu, mais il circulait des bruits qui parvenaient jusqu’à nous : « Chez tel propriétaire, puis chez tel autre, la fille de la maison s’est sauvée ; l’une pour aller étudier à l’étranger, l’autre pour aller à Pétersbourg chez les nihilistes. Le sujet d’effroi principal pour les parents et les instituteurs, tout autour de Palibino, était une certaine commune établie, disait-on, à Pétersbourg, où l’on attirait — du moins c’était la rumeur publique — toutes les jeunes filles qui voulaient quitter la maison paternelle. Les jeunes gens des deux sexes y étaient censés vivre dans un communisme complet. Des jeunes filles de bonne famille lavaient les planchers, nettoyaient les samovars de leurs propres mains ; car elles n’admettaient aucune domesticité. Ceux qui répandaient ces bruits n’avaient, il est vrai, jamais vu cette commune, ils ignoraient même où elle se trouvait, et comment elle pouvait exister à Pétersbourg sous les yeux de la police ; néanmoins cette existence ne faisait doute pour personne.

Bientôt les signes du temps se manifestèrent dans notre voisinage immédiat.