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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/118

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ma sœur.

Le prêtre de notre paroisse avait un fils dont la soumission et la conduite exemplaire faisaient jadis la joie de ses parents. Mais, à peine ses cours du séminaire brillamment achevés — il était, je crois, sorti le premier, — ce digne jeune homme se transforma, sans raison apparente, en fils rebelle, et déclara nettement qu’il renonçait à la prêtrise, bien qu’il n’eût qu’à étendre la main pour obtenir une riche paroisse. Son Éminence l’archevêque le fit venir, l’engagea lui-même à ne pas quitter le giron de l’Église, donnant clairement à entendre au jeune homme qu’une des meilleures paroisses du gouvernement lui serait confiée, s’il en témoignait le désir — à la condition toutefois d’épouser une des filles de son prédécesseur, — l’usage traditionnel exigeant que la paroisse servît en quelque sorte de dot à une des filles du pope. Cette séduisante perspective ne produisit aucun effet : le jeune homme préféra partir pour Pétersbourg, entrer à ses propres frais à l’Université, et se condamner pendant quatre ans d’études au thé et au pain sec pour toute nourriture.

Le pauvre père Philippe s’affligea de la déraison de son fils, mais il en eût pris tant bien que mal son parti si celui-ci avait choisi la faculté de droit — celle qui, par la suite, nourrit le mieux son homme, comme chacun sait ; malheureusement son fils choisit les sciences naturelles. Il revint aux vacances suivantes farci d’absurdités, prétendant par exemple que l’homme descend du singe et que, selon les démonstrations du professeur Sétchénof, il n’y a pas d’âme,