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départ de l’institutrice.

qui éclaterait sur leurs têtes aussitôt que les invités seraient partis.

En effet l’orage fut terrible.

Tant que les invités ne furent pas tous partis, mon père resta enfermé dans son cabinet, et n’y laissa pénétrer personne. Ma mère et ma sœur quittaient la salle de bal entre les danses pour écouter à sa porte sans oser entrer, et revenaient tourmentées de la même pensée : « Que fait-il maintenant, et n’est-il pas malade ? »

Quand le calme fut rétabli dans la maison, mon père fit appeler Aniouta ; et que ne lui dit-il pas ! Une des phrases qui la frappèrent le plus, fut celle-ci : « Une fille qui engage une correspondance avec un inconnu, à l’insu de son père et de sa mère, et qui reçoit de l’argent de lui, est capable de tout. Aujourd’hui tu vends ta prose ; le temps viendra peut-être où tu te vendras toi-même. »

La pauvre Aniouta frissonnait en entendant ces terribles paroles ; elle sentait bien, au fond, leur injustice, mais notre père parlait avec tant de conviction, son visage était si troublé, si altéré, et d’ailleurs son autorité était si grande encore aux yeux de ma sœur que, pendant quelques minutes, un doute cruel la tourmenta : « Me suis-je trompée ? Ai-je vraiment commis, sans le savoir, un acte odieux et coupable ? »

Pendant les journées qui suivirent, ainsi qu’il arrivait après chaque drame domestique, nous semblions tous avoir reçu une douche. Les domestiques