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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/158

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nos relations avec dostoiévsky.

marié, et, devenu père de famille, s’était acquis l’estime générale.

Un matin, il se réveille ; le soleil pénètre dans sa chambre par la fenêtre : tout autour de lui est soigné, rangé, confortable. Lui-même se sent rangé et respectable. Il éprouve dans tout son être une impression de repos et de contentement. En vrai sybarite il ne se hâte pas de se réveiller complètement, afin de prolonger le plus possible cette impression générale de bien-être végétatif.

À demi assoupi, dans cet état qui participe autant du rêve que de la veillée, il revoit en pensée quelques-uns des moments heureux de son dernier voyage à l’étranger. Il revoit l’admirable rayon de lumière tombant sur les épaules nues de la sainte Cécile à Munich. Des passages remarquables d’un livre récemment lu « sur la beauté et l’harmonie dans la nature » lui reviennent à l’esprit.

Soudain, au plus fort de ces réminiscences et de ces charmantes rêveries, il éprouve une gêne étrange, ni douleur, ni souci, quelque chose comme l’impression d’une ancienne blessure, d’un coup de feu reçu jadis, et dont on n’aurait pas extrait la balle : rien n’indique à l’avance qu’on va en souffrir, et tout à coup la vieille blessure se ravive sourdement.

Notre homme réfléchit, et cherche à comprendre ce que cela signifie. Il n’a pas de mal, il n’a pas de chagrin, et cependant il se sent le cœur labouré comme par les griffes d’un chat.

Il croit comprendre qu’il doit se rappeler quelque