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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/213

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sophie kovalewsky.

remontaient un peu, mais bien qu’ils eussent l’air de tenir l’un à l’autre, leurs rapports étaient troublés par des reproches et des malentendus continuels. Ils faisaient ensemble de longues promenades, mais Sophie ne consentait jamais à sortir avec moi, même pour faire les emplettes les plus indispensables. Nous faillîmes une fois nous brouiller au sujet d’une robe dont elle avait absolument besoin pour Noël ; nous étions invitées chez Weierstrass qui faisait orner un arbre spécialement à notre intention. Sophie ne voulut sortir à aucun prix pour acheter sa robe, je me refusai de mon côté à faire seule cet achat ; son mari aurait tout arrangé s’il avait été là, car il choisissait jusqu’aux étoffes et aux façons de ses robes. Enfin elle s’avisa de charger notre hôtesse de commander ce qu’il lui fallait et fut ainsi dispensée de sortir.

« Elle pouvait passer de longues heures à sa table de travail, dans une tension d’esprit extraordinaire, et lorsque, après une journée d’étude, elle mettait ses papiers de côté, et quittait sa table, c’était pour marcher de long en large dans sa chambre, absorbée dans ses pensées, et d’un pas si rapide, qu’elle finissait souvent par courir en se parlant à haute voix, parfois même en éclatant de rire. Elle paraissait alors comme soulevée de terre, emportée loin de toute réalité sur les ailes de la fantaisie, mais jamais elle ne parlait des idées qui l’occupaient en pareil cas.

« Elle dormait peu, et toujours d’un sommeil agité ; réveillée parfois en sursaut par quelque rêve fan-