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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/22

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premiers souvenirs.

Il me suffit de penser à notre chambre d’enfants pour évoquer, par une inévitable association d’idées, une odeur singulière, mélange d’encens, d’huile de lampe, de baume tranquille, et de chandelle fumeuse. Cette odeur très spéciale, qui non seulement n’existe pas à l’étranger, mais qui doit même être devenue très rare à Moscou, avait cessé de me hanter, lorsqu’en entrant, il y a deux ans, chez une de mes amies, dans la chambre de ses enfants, à la campagne, je fus accueillie par ce parfum bien connu, ramenant à sa suite une série d’impressions et de sensations oubliées depuis longtemps.

Notre gouvernante française ne peut entrer dans notre chambre sans porter avec dégoût son mouchoir à son nez.

« Mais vous n’ouvrez donc jamais la fenêtre, Niania ? » demande-t-elle en mauvais russe d’un ton plaintif.

Niania considère cette observation comme une injure personnelle.

« Voilà ce qu’elle imagine encore, la musulmane ! J’irais ouvrir la fenêtre pour rendre les enfants malades ! » murmure-t-elle après le départ de la gouvernante.

Ces escarmouches entre la bonne et la gouvernante se renouvellent ainsi très régulièrement, chaque matin.

Les rayons du soleil pénètrent depuis longtemps dans notre chambre. Nous, les enfants, ouvrons l’un après l’autre les yeux, mais nous ne sommes pas