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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/230

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la vie en russie.

avait lieu, disait-il, d’être jalouse ». Toucher à cette corde, c’était éveiller une des passions les plus profondes de cette nature violente. Dès lors Sophie perdit tout esprit de critique, et fut hors d’état de contrôler la vérité de ces insinuations, que plus tard elle sut être mensongères ; elle n’éprouva plus que le besoin absolu de se soustraire à l’humiliation de l’abandon, et d’échapper pour sa part à la tentation d’un espionnage dégradant. Incapable de résignation, aussi exigeante en amour qu’elle était indifférente aux choses extérieures de l’existence, elle ne put admettre la vie conjugale quand elle crut avoir perdu l’amour et la confiance de son mari, ni supporter l’idée de le voir marcher à sa perte sans pouvoir l’arrêter. Peut-être n’avait-elle jamais aimé Kovalewsky d’un véritable amour, mais elle s’était consacrée à lui, s’était identifiée à ses intérêts, avait voulu se l’attacher par tous les liens d’affection qu’une nature affamée de tendresse, comme la sienne, devait chercher dans ses relations avec son mari, le père de son enfant. Aussi, en s’apercevant qu’il s’éloignait d’elle malgré tout, et plaçait un tiers entre eux, cette tendresse, un peu artificielle, sombra tout à coup ; elle repoussa de son cœur l’image qu’elle y avait placée presque de force, et se retrouva seule.

Décidée à se suffire à elle-même, et à sauvegarder l’avenir de sa fille, elle quitta son pays et sa maison pour reprendre sa vie d’étude à l’étranger.