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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/252

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arrivée à stockholm.

Mais le changement n’était pas seulement extérieur ; la mélancolie qui pesait sur elle à son premier séjour avait disparu, pour faire place au côté opposé de sa nature : une gaîté exubérante, dont je fus frappée pour la première fois. Elle fut ainsi, à certaines périodes de sa vie, étincelante d’esprit, pétillante de vivacité, s’amusant à accabler ses amis des plaisanteries les plus drôles et les plus mordantes, et des paradoxes les plus hardis ; si on n’avait pas la répartie prompte, mieux valait se taire, et recevoir en silence cette grêle de saillies, car elle ne laissait guère le temps de la réplique.

Au moment où je la revis, elle préparait ses cours pour le terme prochain, et les répétait au fur et à mesure au jeune mathématicien, qu’elle avait plaisamment surnommé son « versuchskaninchen » (lapin d’expérimentation) ; en son absence, l’emploi revenait à Mittag-Leffler.

Cette belle humeur se prolongea tout l’automne ; Sophie prit part à la vie mondaine, et y eut le plus grand succès. Le côté satirique de sa nature, son profond mépris pour toutes les médiocrités, car elle était aristocrate au suprême degré lorsqu’il s’agissait d’esprit et de talent, ne l’empêchaient pas d’éprouver la sympathie particulière aux romanciers pour les moindres conflits de la vie, quelque insignifiants qu’ils fussent ; aussi s’intéressait-elle à tout ce qui agitait le petit monde autour d’elle ; aux préoccupations de ménage, aux questions de toilette, à tout ce qu’on venait lui raconter. De là ce jugement si souvent