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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/253

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sophie kovalewsky.

répété : « Mme Kovalewsky est simple et sans prétention comme une pensionnaire ; elle ne se croit nullement supérieure aux autres femmes ».

C’était faux ; ainsi que je l’ai déjà dit, elle considérait peu de personnes comme ses égales ; la franche cordialité de ses manières n’était qu’une apparence ; mais une certaine souplesse d’esprit, le désir de plaire, et l’intérêt psychologique du romancier pour tout ce qui est humain, lui donnaient cet abord sympathique si attrayant. Rarement du reste son tour d’esprit sarcastique perçait à l’égard de ceux qu’elle traitait en inférieurs, elle se contentait de les dédaigner. En revanche, avec ses égaux, ses sarcasmes avaient beau jeu.

Au bout de peu de temps, elle fut lasse de la société de Stockholm, et prétendit en connaître tous les habitants par cœur ; pour son malheur, elle ne pouvait longtemps être satisfaite ni à Stockholm, ni ailleurs ; la vie devait lui fournir sans cesse des événements dramatiques, des raffinements intellectuels nouveaux, et la grise monotonie de l’existence quotidienne lui semblait haïssable ; tout ce qui rentrait dans le cadre des vertus « bourgeoises » lui faisait horreur. Ce trait de caractère venait, disait-elle, de sa grand’mère, une bohémienne, dont le mariage avec son grand-père avait fait perdre à celui-ci le titre de prince, héréditaire dans la famille. Mais ce n’était pas un simple trait de caractère ; ce besoin de stimulants tenait à la nature même de son esprit, aussi fortement réceptif que productif. Aussi ses travaux