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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/255

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sophie kovalewsky.

ainsi d’un plaisir à l’autre, et fut partout admirée et fêtée.

Cette heureuse disposition d’esprit ne fut pas de longue durée ; un mois après, elle était remplacée par une disposition contraire, causée par de mauvaises nouvelles de sa sœur, un peu aussi par une petite affaire de cœur, dont l’issue, comme presque toujours, ne fut pas heureuse ; cet incident avait produit d’abord la joie exubérante dont nous avions été témoins, et fut très vite suivie d’un profond découragement.

« …Au fond je suis d’humeur fort triste, car je viens de recevoir de très mauvaises nouvelles de ma sœur. Sa maladie fait d’épouvantables progrès. C’est la vue qui souffre maintenant ; elle ne peut plus ni lire ni écrire : la cause est toujours la même ; le cœur fonctionne mal, la circulation du sang devient mauvaise, et amène des paralysies partielles. Je tremble à la pensée de la terrible perte qui me menace dans un avenir peut-être très prochain. Que la vie est donc une chose horrible, et qu’il est bête de continuer à vivre ! C’est précisément aujourd’hui l’anniversaire de ma naissance : j’ai trente et un ans, et il est terrible de penser qu’il m’en reste peut-être encore autant à vivre. Combien cela s’arrange mieux dans les drames et les romans ! À peine une personne y découvre-t-elle que la vie n’a plus rien d’agréable à lui offrir, que quelqu’un, ou quelque chose, lui facilite aussitôt le passage dans « l’au-delà ». La réalité est bien inférieure sous ce rapport. On parle beaucoup