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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/27

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sophie kovalewsky.

« Pauvre chérie ! » ajoutait-elle en me caressant la tête de sa main.

Voici le soir. Niania nous a déjà mis au lit, mon frère et moi, mais n’a pas encore ôté l’invariable fichu qui couvre sa tête pendant la journée, et dont la disparition marque le passage de la veillée au repos. Assise sur le divan, devant une table ronde, elle prend du thé en compagnie de Nastasia.

La chambre est presque sombre ; seule la flamme jaunâtre d’une chandelle que Niania néglige de moucher, ressort de cette demi-obscurité comme une tache claire, et, dans l’angle opposé de la chambre, une petite lueur bleuâtre et vacillante projette sur le plafond de bizarres dessins, et illumine vivement le Sauveur, dont la main semble sortir de l’icône argentée avec un geste de bénédiction.

J’entends à mes côtés la respiration irrégulière de mon frère endormi, et dans le coin, près du poêle, le sifflement nasal de Fékloucha, le souffre-douleur de Niania, une petite fille au nez camus, qui lui sert d’aide. Elle aussi dort dans la chambre des enfants, sur un lambeau de feutre gris qu’elle étend par terre le soir, et qu’elle roule le jour dans un cabinet.

Niania et Nastasia causent à voix basse et, nous croyant profondément endormis, ne se gênent pas pour discuter les événements domestiques. Mais je ne dors pas du tout ; je m’applique au contraire à écouter ce qu’elles disent. Certaines choses m’échappent naturellement, d’autres ne m’intéressent guère, et il m’arrive de m’endormir au milieu d’un récit dont