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triomphe et défaite.

rencontre elle ressentit pour lui une grande sympathie et une grande admiration, et peu à peu ces sentiments se transformèrent en un amour passionné. Lui, de son côté, éprouvait une vive admiration pour elle et lui demanda même d’être sa femme, mais elle crut sentir plus d’admiration que d’amour, et refusa de l’épouser, se proposant de mettre toute l’énergie de son âme à conquérir un amour qui fût l’égal du sien. Cette lutte avait été l’histoire de sa vie pendant nos deux années de séparation. Elle tourmenta son ami de ses exigences, lui fit souvent des scènes de jalousie ; ils se quittèrent bien des fois avec amertume, Sophie brisée de désespoir, puis ils se retrouvaient, se réconciliaient, pour se séparer violemment de nouveau.

Les lettres de Sophie disent peu de chose de sa vie intime ; réservée de nature, surtout lorsqu’il s’agissait de sentiments profonds, et particulièrement de ses chagrins, elle n’arrivait à la confiance que sous l’influence de rapports personnels ; ce ne fut donc qu’après mon retour en Suède que j’appris quelque chose. Je donnerai quelques extraits des passages les plus caractéristiques de ses lettres de cette époque. En janvier 1888, peu après mon départ, elle écrit :

« Ton histoire avec E. (elle fait allusion à un événement survenu dans la société de Stockholm) m’a fait penser qu’aussitôt libre je reprendrai mon premier-né, le « Privat docent » ; en le remaniant complètement je crois que j’en puis faire quelque chose d’excellent. Je me sens vraiment un peu fière d’avoir,