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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/342

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la fin.

contraire plus disposée à la résignation qu’elle ne l’avait jamais été. Le bonheur complet, celui dont l’image enflammait son âme, ne lui paraissait plus possible, mais elle en aimait encore les rayons brisés, et aspirait à les voir éclairer sa route. D’ailleurs elle avait peur du grand « Inconnu ». Elle avait souvent avoué que la crainte d’une punition, dans un autre monde, l’avait seule empêchée de quitter volontairement la vie. Si elle n’avait pas de foi religieuse bien déterminée, au moins croyait-elle a la vie éternelle pour chaque individu, et parce qu’elle y croyait, elle en avait aussi la crainte.

Elle redoutait par-dessus tout le moment terrible où la vie terrestre cesse, et citait souvent les paroles de Hamlet :


Quels seront nos rêves, dans ce sommeil de la mort,
Alors que nous aurons rejeté notre enveloppe mortelle ?


Avec sa vive imagination elle se représentait les terribles secondes qui suivent l’instant où le corps, physiologiquement parlant, est mort, mais où peut-être le système nerveux vit, et souffre encore, souffre un martyre indescriptible, seulement connu de ceux qui ont déjà pris leur élan dans les grandes ténèbres. Elle approuvait la crémation par crainte d’une mort apparente, et décrivait d’une façon si terrible ce que l’on pouvait éprouver en se réveillant dans un cercueil, qu’on était saisi de terreur.

Sa maladie fut si courte et si violente qu’elle n’eut pas le temps, je crois, de penser à tout ce qui jadis