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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/343

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sophie kovalewsky.

avait troublé son imagination. Les seules paroles prononcées par elle, desquelles on peut conclure qu’elle pressentait la fin, furent celles-ci : le lundi matin le 9, vingt heures avant sa mort, elle dit : « Je ne reviendrai jamais de cette maladie », et le soir du même jour : « Je sens qu’il s’opère un changement en moi ».

Sa seule crainte fut de rester longtemps malade. Elle évitait de parler à cause d’un point dans le côté, d’une fièvre violente et de suffocations accompagnées d’angoisses, qui lui faisaient préférer rester seule. L’avant-dernière nuit, elle dit à Ellen Key, toujours assise à son chevet : « Si tu m’entends gémir dans mon sommeil, réveille-moi, et aide-moi à changer de position, car je crains que cela ne tourne mal. Ma mère est morte dans une crise d’angoisse. »

Elle avait une maladie de cœur héréditaire, et fondait là-dessus son espoir de mourir jeune. À l’autopsie, ce défaut parut sans gravité, quoiqu’il eût peut-être aggravé les suffocations qu’une violente inflammation de poumons cause par elle-même. Les amis qui l’entourèrent, pendant sa courte maladie, ne purent assez admirer sa douceur, sa patience, sa bonté ; elle craignait de causer de l’embarras, et remerciait chaudement pour le moindre service.

Sa petite fille devait aller à une fête d’enfants le mardi, et Sophie se préoccupait encore de ne pas lui faire manquer ce plaisir ; elle pria ses amies de l’aider à lui procurer un costume, et lorsque le lundi soir la petite entra chez sa mère en bohémienne,