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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/57

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sophie kovalewsky.

instruit, donnant d’excellentes leçons, mais il n’eut pas grande influence sur mon éducation. L’institutrice, au contraire, introduisit un élément nouveau dans notre famille.

Quoique élevée en Russie, et parlant bien le russe, elle avait conservé intacts tous les traits de caractère particuliers à la race anglo-saxonne : la droiture, l’énergie, la force de persévérer dans une entreprise et de la mener à bien. Ces qualités lui donnaient une grande supériorité dans notre maison, où l’on se distinguait par des qualités diamétralement opposées : c’est ce qui explique l’influence qu’elle exerça sur tous.

À peine entrée chez nous, elle s’appliqua de toutes ses forces à faire de notre chambre d’enfants une nursery, où pourraient s’élever de jeunes misses modèles. Et Dieu sait s’il est difficile de créer une pépinière de misses anglaises dans une maison de propriétaires russes, où les habitudes « seigneuriales », la négligence, le laisser aller, se développaient depuis des siècles, de génération en génération. Grâce à sa remarquable énergie, elle en vint cependant à bout, du moins jusqu’à un certain point. Ma sœur, habituée à une complète indépendance, ne fut, il est vrai, jamais domptée : près de deux ans se passèrent en luttes et en incessantes discussions ; au bout de ce temps, Aniouta ayant atteint ses quinze ans, fut dispensée de toute soumission envers l’institutrice, et son émancipation fut marquée par son installation dans une chambre voisine de