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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/89

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sophie kovalewsky.

c’était long et n’en valait pas la peine pour une seule chambre : on attendit une occasion, et, pendant bien des années, la chambre resta inachevée, le mur simplement tendu d’un papier de hasard. Heureusement ce papier consistait en feuilles lithographiées des cours d’Ostrogradsky sur le calcul intégral et différentiel, jadis achetées par mon père, dans sa jeunesse. Ces feuilles, bigarrées d’anciennes et incompréhensibles formules, attirèrent bientôt mon attention. Je me rappelle avoir passé des heures entières dans mon enfance, devant ce mur mystérieux, cherchant à débrouiller quelques phrases isolées et à retrouver l’ordre dans lequel ces feuilles devaient se suivre. Cette contemplation prolongée et quotidienne finit par graver dans ma mémoire l’aspect matériel de beaucoup de ces formules, et le texte, quoique incompréhensible au moment même, laissa une trace profonde dans mon cerveau.

Plusieurs années après, quand je pris ma première leçon de calcul différentiel, avec un célèbre professeur de mathématiques de Pétersbourg, Alexandre Nicolaévitch Strannolioubsky, il fut étonné de la rapidité avec laquelle je saisissais toutes ses explications, « comme si je les avais sues à l’avance », ce fut l’expression dont il se servit. En effet, au moment où il me donnait ces premières notions, je me rappelai soudain avoir vu tout cela sur le mur de ma chambre d’enfant ; et il me sembla que le sens des termes dont se servait le professeur m’était familier depuis longtemps.