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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/91

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sophie kovalewsky.

et une couverture de voyage, car l’automne était avancé.

Mais la veille du jour où on attendait mon oncle, voici qu’une simple télègue, attelée de misérables chevaux de poste, s’arrête devant le grand perron ; un jeune homme en descend lestement, vêtu d’un paletot de ville, une sacoche de voyage sur l’épaule.

« Mon Dieu ! mais c’est mon frère Fédia ? » s’écria maman regardant par la fenêtre.

« L’oncle, l’oncle est arrivé ! »

La nouvelle se répand aussitôt dans la maison, et nous accourons tous dans le vestibule au-devant du visiteur.

« Fédia, mon pauvre ami ! comment se fait-il que tu sois arrivé en télègue de poste ? N’as-tu donc pas rencontré la voiture envoyée à ta rencontre ? Tu as été bien secoué ? » dit maman d’une voix émue en embrassant son frère.

Il se trouve que l’oncle a quitté Pétersbourg un jour plus tôt qu’il ne pensait.

« Le bon Dieu te bénisse, Lise ! » répond-il en riant, et en essuyant le givre qui couvre ses moustaches, avant d’embrasser sa sœur ; « je ne m’imaginais pas que tu ferais tant d’embarras pour me recevoir. Pourquoi m’envoyer une voiture ? Suis-je donc une vieille femme que je ne puisse faire cent cinquante verstes en télègue ? »

L’oncle avait une agréable voix de ténor et parlait en grasseyant un peu. Il semblait encore tout jeune. Ses cheveux châtains, coupés en brosse, couvraient