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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/93

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sophie kovalewsky.

Il a déjà changé de toilette, et personne, à voir sa belle mine, ne se douterait qu’il vient de faire un long voyage. Ses vêtements à l’anglaise l’habillent admirablement, et pas comme tout le monde. Mais ce qui me plaît par-dessus tout, ce sont ses mains : grandes, blanches, soignées, avec des ongles brillants qui font penser à de grandes amandes roses. Je ne le quitte pas des yeux, tout le temps du dîner ; absorbée dans cette contemplation, j’oublie même de manger.

Après le dîner, mon oncle va s’asseoir sur un petit divan, dans un coin du salon, et me prend sur ses genoux.

« Eh bien, faisons connaissance, mademoiselle ma nièce », dit-il.

Mon oncle me questionne sur mes études et sur mes lectures. Les enfants connaissent généralement leur côté fort ou faible, mieux que ne le supposent les grandes personnes. Je sais parfaitement, par exemple, que je travaille bien, et qu’on me dit très avancée dans mes études, pour mon âge. Aussi suis-je ravie que mon oncle ait eu l’idée de m’interroger, et je réponds à toutes ses questions avec plaisir et sans timidité. Je m’aperçois aussi qu’il est content. « Voilà une fille instruite, répète-t-il à chaque instant ; elle sait déjà tout cela ! »

« Racontez-moi aussi quelque chose, mon oncle, dis-je à mon tour.

— Volontiers ; mais on ne peut faire des contes à une demoiselle aussi savante que toi, dit-il en plaisantant, il faut l’entretenir de choses sérieuses. »