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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/94

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mon oncle théodore schubert.

Et mon oncle me parle d’infusoires, de végétations marines, de récifs de corails : car sa science est encore toute fraîche, il n’a pas quitté l’Université depuis longtemps ; il raconte bien, et s’amuse à me voir écouter avec la plus vive attention, les yeux grands ouverts, fixés sur lui.

Depuis ce premier jour, la même scène se répète chaque soir. Après le dîner, papa et maman vont faire une sieste d’une demi-heure. Mon oncle n’a rien à faire. Il s’assied sur son petit divan favori, me prend sur ses genoux et me raconte une foule de choses. Il offrit bien aux autres de l’écouter aussi, mais ma sœur, qui venait de quitter les bancs de l’école, craignit de compromettre sa dignité de grande demoiselle en écoutant des récits instructifs bons seulement pour les petites. Mon frère resta une fois avec nous, trouva la chose peu amusante, et s’en retourna jouer aux chevaux.

Quant à moi, nos entretiens scientifiques, ainsi que les intitula en riant mon oncle, me devinrent infiniment chers. Le moment préféré de toute la journée fut cette demi-heure passée seule, après le dîner, avec mon oncle. J’éprouvais une véritable adoration pour lui ; je ne jurerais même pas qu’il ne s’y mêlât un certain sentiment voisin de l’amour, auquel les petites filles sont plus disposées que ne le pensent les grandes personnes. À prononcer son nom, j’étais confuse, troublée, ne s’agît-il même que de demander : « Mon oncle est-il à la maison ? » À table, si quelqu’un, remarquant l’attention avec laquelle