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Page:Spenlé - Novalis.djvu/100

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NOVALIS

plement que cela se dût. Je te dis cela parce que je ne puis te cacher plus longtemps que je lui ai communiqué les mystères. »[1] Cette initiation fait aussi la matière de la « seconde lettre » de son roman intitulé Lucinde, qui parut en 1799. Le héros rêve tout à coup, on ne sait trop pourquoi, que sa bien-aimée est morte et il traverse en songe toutes les péripéties qui ont inspiré les Hymnes à la Nuit. C’est d’abord la certitude d’une mort prochaine, opérée par un simple miracle d’amour et de foi. Mais il ne s’agit pas d’un suicide ordinaire. Par une désincarnation graduelle s’accomplira le relâchement des liens terrestres, le suicide éminemment philosophique. « À partir de cette heure, dit-il, j’étais malade et je souffrais beaucoup, mais j’aimais ma maladie et la douleur même je l’appelais bienheureuse. » Enfin cette aspiration mystique prend un caractère de plus en plus religieux et poétique. « La maladie, grâce à cet étrange sentiment, s’organisa en un monde achevé dans tous ses contours. J’éprouvai qu’elle recélait une vie mystérieuse, plus riche et plus profonde que la santé brutale de ceux qui m’entouraient et que ces derniers ne vivaient en réalité que dans un rêve somnambulique. » L’amour s’est changé en religion, la bien-aimée a pris les traits de la Madone. « Et à partir de cette heure je compris que la mort, elle aussi, peut être ressentie avec douceur et beauté ».

S’il faut reconnaître à Frédéric Schlegel une certaine virtuosité dans l’emploi de la terminologie mystique et poétique du romantisme, on ne trouverait cependant pas en lui cette source originale et authentique d’inspiration lyrique, cette faculté géniale de lecture intérieure et de symbolisation poétique qui font l’originalité de Novalis et dont les Hymnes à la Nuit apportent la révélation, peut-être imparfaite, mais combien saisissante déjà ! Dès le premier hymne le lyrisme coule à pleins bords, — un lyrisme étrange assurément, qui veut réveiller dans l’âme des résonances

  1. Nachlese, op. cit., p. 199.