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Page:Spenlé - Novalis.djvu/99

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

Novalis, dans les Hymnes à la Nuit, semble avoir en recours à des pratiques mystiques d’un autre ordre. « Il cherche ». raconte Frédéric Schlegel à Schleiermacher. « par voie chimique un remède contre la corporéité, au moyen de l’extase, où il découvre un indice révélateur du beau mystère du contact spirituel ».[1] Deux poésies de Guillaume Schlegel, dédiées à Novalis et qui se trouvent entrelacées dans la « Guirlande funéraire » composée à l’occasion de la mort d’Augusta Bœhmer, font allusion à des pratiques ésotériques du même genre. « Tu paraissais », y est-il dit, « détaché de la terre, planer tel qu’un esprit à la démarche légère et, sans subir les atteintes de la mort, te dépouiller de l’enveloppe mortelle. Tu évoquais en toi, par des pratiques spirituelles (durch geistig Handeln), comme font les magiciens, par des signes et des gestes, l’Être disparu, l’appelant à communier dans ton cœur. » Dans une autre de ces pièces, c’est la morte elle-même, Augusta Boehmer, qui implore directement Novalis, le priant d’adoucir la douleur de Guillaume Schlegel et d’initier son père adoptif aux « mystères » du commerce spirituel. « Ô toi, dont le regard juvénile a épié les secrets du ciel, donne ton initiation à celui qui m’a chantée ». La nuit est particulièrement propre à de pareilles initiations. « Pendant la nuit les rêves audacieux franchissent l’abîme qui nous sépare des défunts et ils attirent ceux-ci vers nous, dans un entretien familier ».[2]

Ce sont sans doute là les « mystères » que Frédéric Schlegel avait découverts dans les papiers de son ami, pendant son passage à Weissenfels, lorsqu’il parle « des indications splendides d’une poésie et d’une religion nouvelles de la mort », et auxquels il initia à Berlin sa nouvelle amie, Dorothée Veit. « Si elle me perdait », écrivait-il à Novalis, « elle me suivrait selon la coutume indoue, par pure religion, sans se douter seulement que cela fût une chose extraordinaire ou sim-

  1. Aus Schleiermachers Leben, op. III, p. 77.
  2. Voir Aug. Wilh. Schlegel, Werke, Leipzig, 1846, Tome I, Todten Opfer für Augusta Bœhmer, p. 136 et p. 139.