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Page:Spenlé - Novalis.djvu/110

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NOVALIS

yeux l’Image de sa vie. » Y eut-il réellement vision ? Le récit du Journal, écrit aussitôt après l’événement, écarte cette supposition. « Sa présence, — y est-il dit, — était sensible. Il me semblait qu’elle allait apparaître d’un instant à l’autre. » Cependant le troisième hymne décrit une vision, il est vrai tout incorporelle et intérieure. C’est qu’aux impressions réellement éprouvées s’ajoutait déjà un travail de transfiguration poétique.[1] « Un jour que je versais des larmes amères, que mon espérance se dissolvait douloureusement et que, solitaire, je me tenais près du tertre aride, dont l’étroit et sombre enclos dérobait l’image même de ma vie, — seul comme jamais homme ne fut seul, poussé par une indicible angoisse, à bout de forces, réduit à n’être plus qu’un fantôme de la détresse : — comme j’appelais des yeux du secours, incapable d’avancer et de reculer, m’attachant à la vie éteinte avec d’infinis regrets : alors des lointains d’azur, des cimes de mon antique bonheur descendit frissonnante, une lueur crépusculaire et d’un seul coup se rompit le lien natal, la chaîne de la lumière. — Loin de moi s’enfuit la splendeur terrestre et, avec elle, ma douleur : la tristesse s’amoncela en un monde nouveau et insondable. Enthousiasme des Nuits, Sommeil céleste, tu descendis sur moi ; doucement la contrée se souleva et au-dessus flottait mon esprit affranchi et régénéré. En une nuée de poussière s’évanouit le tertre et à travers la nuée j’aperçus les traits glorieux de la Bien-aimée. En ses yeux reposait l’éternité ; je saisis ses mains et les larmes devinrent une chaîne étincelante et infrangible. Des milliers d’années se dissipèrent au loin comme un temps d’orage. Suspendu à son cou je pleurai des larmes enivrantes, pour inaugurer la vie nouvelle. Ce fut le premier rêve que je fis en Toi. Il passa, mais le reflet de sa

  1. On a vu plus haut la définition que lui-même donnait de la vision extatique. « Ce nest ni un « voir », ni un « entendre », ni un « sentir » ; — c’est composé des trois, — c’est plus que les trois réunis, — une impression de certitude immédiate, un aperçu de ma vie la plus vraie, la plus intime. » Ainsi la contradiction n’est qu’apparente entre la version poétique des Hymnes à la Nuit et le récit du Journal, où il écrivait : « Sa présence était sensible, il me semblait qu’elle allait apparaitre d’un moment à l’autre. »