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Page:Spenlé - Novalis.djvu/111

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

splendeur subsiste en moi : la foi immuable, indéracinable au ciel de la Nuit et à son astre, la Bien-aimée. »

Ainsi ce troisième hymne exprime sous forme de vision poétique la pensée qui inspire tout le premier cycle poétique et qui se trouve à présent entièrement réalisée par l’union extatique avec la morte. On voit s’y opérer la confusion, déjà observée chez le poète, entre les émotions funèbres et les émotions sexuelles. « Une alliance conclue pour la mort est un mariage qui nous donne une compagne pour la Nuit. Dans la mort l’amour est le plus doux ; pour le vivant la mort est une nuit d’épousailles, une suite de doux mystères. N’est-il pas sage de chercher pour la nuit une compagne de lit ? C’est pourquoi l’homme sage doit aussi aimer les morts. » En même temps se précise la signification toute psychologique que le poète prête à ce terme : la Nuit. C’est une expression figurée pour désigner une forme somnambulique de l’extase, provoquée par une concentration excessive de l’esprit sur une idée passionnelle. « La Nuit » observe-t-il lui-même, « est de deux espèces : elle est faiblesse indirecte ou directe. La première se produit par éblouissement, par lumière excessive, — l’autre par lumière insuffisante… Dans l’une l’organe est trop délicat, dans l’autre il est trop grossier. » C’est de la première — de la Nuit par éblouissement, par excès d’irritabilité interne, — qu’il s’agit, sans aucun doute, dans les hymnes analysés plus haut.

Cependant après le troisième hymne il était impossible au poète de prendre plus haut son essor : il fallait ou que s’opérât chez lui le détachement suprême, d’une manière complète et définitive. — ou que son esprit reprît contact de quelque façon avec les réalités terrestres. Arrivé à sa phase aiguë le délire mystique devait ou bien aboutir à une rupture absolue avec la vie et le monde, à la folie ou à la mort, — c’était la solution violente, ou perdre de sa virulence et de son intensité afin de laisser l’organisme s’adapter de nouveau à la vie normale. À cette évolution du délire initial, à une réadaptation graduelle de la pensée, nous fait assister