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Page:Spenlé - Novalis.djvu/113

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

couvre à l’homme « la source cristalline, où ne peuvent atteindre les sens grossiers et qui jaillit des abîmes ténébreux de la mort » ; elle lui révèle de l’autre côté de la colline une « terre nouvelle », où l’appelle la secrète aspiration de son cœur. Mais la philosophie lui apprend d’autre part à ne pas séparer sa destinée individuelle de la destinée universelle. Telle est la nouvelle pensée morale qui fait la matière de ce chant. Déjà pendant la maladie de sa fiancée Novalis avait cherché des consolations et des encouragements dans l’étude de la philosophie, particulièrement dans la philosophie de Fichte. À la date du 29 mai 1797 soixante-douze jours après la mort de Sophie, il écrivait dans son Journal : « Entre la barrière et Grüningen j’eus la joie de trouver le véritable concept du Moi de Fichte ». L’introduction du quatrième hymne semble être la paraphrase de cette illumination subite : « Je sais à présent », ainsi débute cette pièce, « quand luira le dernier matin ; lorsque la Lumière ne fera plus fuir la Nuit et l’Amour, lorsque le sommeil sera éternel et un seul rêve inépuisable. »

Deux idées avaient particulièrement séduit Novalis dans l’idéalisme de Fichte : tout d’abord la toute-puissance créatrice et pour ainsi dire démiurgique du Moi, c’est-à-dire du monde intérieur, de la foi, — et par suite la négativité du monde extérieur et sensible. Le monde intérieur de la foi créatrice, c’est-à-dire le Moi absolu et tout puissant, produit toute réalité ; sans lui le monde extérieur s’écroulerait comme un vain mirage ou plutôt il n’arriverait même pas à l’existence, n’étant que la limitation provisoire que le Moi créateur a posée à sa toute-puissance infinie. Ce qui est primitif, irréductible, absolu, c’est le Moi ; le monde sensible n’existe qu’autant qu’il s’oppose à ce moi et le limite : il est un « non-moi » et rien de plus ; son existence est donc toute négative. De même pour Novalis la Nuit éternelle « porte maternellement dans ses bras » l’empire de la Lumière. « Tu t’évanouirais en toi-même », — dit-il à cette dernière — « tu t’effondrerais dans l’espace infini si Elle la