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Page:Spenlé - Novalis.djvu/114

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NOVALIS

Nuit) ne te retenait, ne t’emprisonnait pour te réchauffer et pour faire à tes ardeurs enfanter le Monde. En vérité j’étais avant que tu fusses. Avec mes semblables, la Mère (c’est-à-dire encore la Nuit) m’a envoyé pour habiter ton monde et pour le sanctifier par l’amour. »

Il s’ensuit — et c’est la seconde pensée empruntée par Novalis à Fichte — que l’homme a une mission à accomplir sur terre et qu’il ne peut, par un acte arbitraire, séparer sa destinée individuelle de la destinée universelle. Cependant cette destinée terrestre ne doit pas le préoccuper au point de lui faire oublier son origine métaphysique. C’est sur ce point que la divergence s’accuse nettement entre le philosophe et le mystique, entre Fichte et Novalis. Tandis que le premier prend résolument position dans la vie, qu’il assigne comme terme à l’activité humaine le triomphe de la raison et de l’idéal moral, le second se sentira toujours comme un « étranger » dans le monde des réalités sensibles et de la lumière, et, s’il se soumet aux tâches quotidiennes de l’existence, c’est toujours avec l’espoir passionné du « retour » prochain et définitif au sein de la patrie céleste. « Encore tu m’éveilles, Lumière allègre, tu rappelles l’homme fatigué au travail, tu me pénètres d’une vie joyeuse… Je veux bien agiter les mains industrieuses, porter mes regards en tous lieux, là où je peux te servir, — glorifier toute la magnificence de tes rayons, explorer sans relâche l’harmonieuse beauté de ton activité ingénieuse, contempler avec joie la course riche en indications de ton horloge puissante et radieuse, approfondir l’équilibre des forces et des règles, le jeu merveilleux des espaces et des époques incommensurables. Mais mon cœur reste fidèle à la Nuit et à sa fille, la Puissance divine de l’amour. »

L’empire de la Nuit s’oppose donc au monde de la Lumière, comme la sphère métaphysique chez le mystique ou le plan spirituel chez le théosophe s’opposent à la réalité terrestre et sensible. Cet empire de la Nuit est du reste tout « intérieur » : C’est la grande, révélation apportée par l’idéa-