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Page:Spenlé - Novalis.djvu/115

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

lisme philosophique. « Pourquoi notre conscience », demande Schopenhauer, « devient-elle plus lumineuse et plus distincte à mesure qu’elle s’épanouit au dehors, en sorte qu’elle arrive à sa plus vive clarté dans l’intuition des sens, qui déjà participe à moitié des objets situés en dehors de nous, — tandis qu’elle s’obscurcit toujours plus à mesure qu’elle rentre vers le dedans et, ramenée dans son foyer central, finit par se perdre en des ténèbres complètes où s’évanouit toute connaissance ? » Et il répond : c’est parce que le moi éveillé, le moi individuel et cérébral, qui ouvre ses yeux à la lumière, ne vit qu’à la surface éclairée de lui-même ; il plonge par ses racines métaphysiques en un moi ténébreux, plus profond, qui n’est pas emprisonné dans les formes isolantes de la conscience individuelle et cérébrale. « Notre centre intérieur a sa racine dans ce qui n’est plus « Apparence » mais « Chose en soi » et où n’atteignent plus les formes de l’Apparence. Par suite les conditions essentielles de l’individualité venant à manquer, la conscience distincte s’évanouit en même temps. Dans ce point d’attache central de l’existence la diversité des essences cesse, tout comme la diversité des rayons d’une sphère cesse dans son centre… De là vient que tout ce que notre conscience peut discerner clairement et concevoir véritablement se trouve situé vers le dehors, sur la surface externe de la sphère. Mais de l’instant que nous quittons tout-à-fait la périphérie, la conscience nous échappe, — dans le sommeil, dans la mort, en une certaine mesure aussi dans l’état somnambulique ou magique : car tout cela nous ramène par le centre. »[1]

La signification de l’activité et de la vie terrestre se trouve profondément modifiée par cette conception spéculative. « De ce point de vue » observe encore Schopenhauer, « mon existence individuelle ne m’apparaît plus que comme un obstacle qui s’interpose entre moi et la connaissance de toute l’étendue véritable de mon être. » La vie n’est qu’un

  1. Schopenhauer, Die Welt als Wille und Vorstellung, édit Reclam. II, p. 381-382.