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Page:Spenlé - Novalis.djvu/117

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

vraiment poétique, se fit bientôt sentir. Le jeune poète choisira-t-il, à l’exemple de ses maîtres classiques, l’Olympe païen pour allégoriser sa pensée, pour populariser poétiquement les mystères de la Nuit ? Évidemment non. La mythologie grecque, — d’après la tradition du 18me siècle — est une mythologie de lumière, de joie ; elle symbolise une conception optimiste et sereine de la vie. Telle du moins elle apparaissait, dans les « Dieux de la Grèce » de Schiller, que Novalis avait lus avec enthousiasme et qui ont inspiré, jusque dans les détails, le tableau poétique qui ouvre le cinquième hymne à la Nuit. « Par delà les montagnes empourprées du Levant, dans l’abîme sacré de la mer, habitait le Soleil, foyer de toute vie et de toute lumièreLa profondeur ténébreuse et azurée de la mer était le sein d’une déesse. Des groupes divins habitaient, inaltérablement joyeux, dans les grottes de cristal. Fleuves, arbres et animaux avaient une pensée humaine. Plus doux était le parfum du vin qu’apportait aux mortels un dieu florissant de jeunesse ; les gerbes touffues et dorées du blé étaient les présents d’une divinité, les ivresses de l’amour se changeaient en un hommage sacré, rendu à la divine beauté. Ainsi la vie s’écoulait pour les dieux et les mortels comme une fête ininterrompue. »

Mais voici qu’une ombre vient jeter l’épouvante parmi les convives joyeux. « Dans ces temps », avait dit Schiller, « un hideux squelette ne se présentait pas au chevet du mourant. » Tout au contraire cette vision angoissante de la mort, le poète romantique l’évoque et la prolonge. Il semble ici s’être inspiré de Young, dont il avait, dit-il, « feuilleté » les Nuits, et à qui, en dehors de ce développement. il n’a peut-être emprunté que le titre de ses chants.[1] Dans la septième Nuit. Young raconte l’irruption soudaine de la Mort dans une salle d’orgie. « Quand la débauche ferme la porte à la raison et que la folle joie usurpe la place

  1. Cela même pourrait être contesté. Il se pourrait que l’invocation mystique à la Nuit dans Roméo et Juliette, — œuvre que Novalis, on se le rappelle, lisait avec ferveur — lui eût inspiré même le titre de ses hymnes. Quant à Young, il n’est mentionné qu’une fois.