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Page:Spenlé - Novalis.djvu/118

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NOVALIS

du bon sens, alors la mort, à la tête du banquet ou du bal, conduit la danse, roule les dés et remplit de rasades la coupe nocturne… Soudain elle laisse tomber son masque, fronce le sourcil : les malheureux frappés de terreur reculent, se renversent et expirent dans le désespoir. »[1] Cette courte citation suffit pour indiquer le ton de l’ouvrage entier : le prédicateur-poète anglais met la poésie au service de quelques lieux communs moraux. Novalis reprend cette évocation tragique de la Mort au milieu d’un banquet, mais en lui prêtant une signification toute nouvelle. — C’est une destinée inexorable, un « empire » inexploré et cependant effroyablement réel et proche, qui se découvre tout-à-coup devant la conscience humaine et cette révélation vient clore, pour elle, l’âge d’or de son enfance ingénue et insoucieuse. En vain les convives essaient de faire reculer ou de fléchir le fantôme inexorable ; en vain la Sagesse antique s’efforce d’interpréter humainement l’insondable mystère : « La sagesse des dieux ignorait le remède qui pût porter quelque douceur et quelque consolation aux cœurs angoissés. Et le convive s’avançait par un sentier mystérieux : ni prières ni offrandes n’apaisaient sa fureur. C’était la Mort : elle fit cesser la joie du festin, y mêlant l’angoisse, la douleur et les larmes. » Par une géniale audace, l’art essaya d’arracher au spectre son masque terrifiant, il s’efforça de l’humaniser. en lui prêtant une figure presque douce. « Un pâle adolescent éteint le flambeau et s’endort. Paisible est la mort, comme un frisson qui s’échappe d’une harpe. »[2] Mais c’était là encore un symbole obscur, impénétrable : « l’éternelle Nuit restait une énigme indéchiffrable, l’image austère d’un empire lointain. »

Avec la joie de vivre innocente et insouciante, avec l’âge d’or de l’enfance humaine c’en fut fait aussi de l’antique mythologie. Les Olympiens disparurent, incapables de dé-

  1. Les Nuits d’Young. Traduction Letourneur, Paris, 1770. I, p. 197-198.
  2. On reconnaît ici une réminiscence de la dissertation de Lessing « sur la manière dont les anciens ont représenté la mort ».