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Page:Spenlé - Novalis.djvu/119

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

voiler au cœur humain l’énigme redoutable de la mort. Cette révélation fut l’œuvre du christianisme. Car en cela réside son essence : il est une religion de la Nuit et de la Mort. Ainsi doit s’interpréter symboliquement le grand drame humain de la vie du Christ. Le Christ, pour le poète romantique, c’est l’idéaliste mystique. Il a percé à jour le caractère illusoire de la vie terrestre et, par une immolation volontaire, par un suicide philosophique complet, il a manifesté à la terre la puissance qui triomphe à la fois des attaches de la vie et des épouvantes de la mort. Par lui l’antique conception naïve de la vie a été abolie. Il a ôté à la mort son aiguillon douloureux, la rendant, tout au contraire attrayante et désirable : il a rendu familier au cœur de l’homme « l’ostracisme métaphysique », — l’acte par lequel celui-ci place en dehors du monde actuel, en dehors du temps et de l’espace, de tout ce qui est corruptible et éphémère, son essence véritable, ses affections les plus profondes. Le Christ a frayé la voie par où s’acheminent désormais les générations gémissantes, poussées par une irrésistible nostalgie vers la Maison paternelle. Telle est la conclusion du dernier hymne à la Nuit :

« Célébrons la Nuit éternelle, célébrons le sommeil sans réveil. Chaud a été pour nous le travail de la journée ; notre âme altérée a langui dans un long chagrin. La terre étrangère n’a plus d’attraits pour nous, nous voulons rentrer à la maison paternelle… Quel obstacle arrête notre retour ? Les bien-aimés reposent depuis longtemps ; à leur tombe s’est brisée la course de notre vie ; nous voici désespérés, pleins d’alarmes. Nous n’avons plus rien à attendre ; le cœur est rassasié, le monde est vide… Descendons vers la douce épousée, vers Jésus le Bien-Aimé ! Courage ! Voici venir le crépuscule pour ceux qui aiment et pleurent. Un rêve brise nos liens et nous porte dans le sein de notre Père. »