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Page:Spenlé - Novalis.djvu/120

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NOVALIS

PESSIMISME ET IRONIE


Le nom de Schopenhauer s’est plusieurs fois présenté à nous, à la lecture des Hymnes à la Nuit et du Journal intime. En effet les termes de comparaison abondent. Telle page du grand métaphysicien pessimiste pourrait servir de commentaire au Journal du poète romantique. C’est, chez l’un et chez l’autre, la même conception d’un « suicide philosophique », par lequel l’homme dégage son essence métaphysique des liens de l’univers matériel et de la vie naturelle. « Lorsque par une grande et irrévocable décision du destin », lisons-nous dans Le Monde comme Volonté et Représentation, « la volonté a été en une certaine mesure brisée, alors l’homme cesse presque entièrement de vouloir et son caractère revêt une tristesse calme, une noblesse résignée. Lorsqu’enfin le chagrin n’a plus d’objet précis, mais se répand sur la vie entière : alors celle-ci prend l’aspect d’un recueillement intérieur, d’une rentrée en soi-même, d’une disparition progressive de la volonté, dont même la forme matérielle et visible, — le corps, — se trouve secrètement mais profondément minée. En même temps l’homme éprouve un certain affranchissement de ses liens, le doux pressentiment de la mort qui s’annonce comme une dissolution à la fois du corps et de la volonté. C’est ce qui fait que la tristesse s’accompagne d’une joie secrète et c’est à celle-ci que le plus mélancolique des peuples a donné, je crois, le nom de « the joy of grief. »[1]

Mais, en dépit de ces similitudes, il y a une différence profonde entre le pessimisme moral de Schopenhauer et le mysticisme esthétique de Novalis. Ce qui frappe chez ce dernier c’est tout au contraire son optimisme foncier, invincible, dans le deuil et dans la maladie. Cet optimisme, si on y regarde de près, est, il est vrai, d’une essence très particulière : on pourrait l’appeler l’inconscience de la souffrance et de la

  1. Schopenhauers sæmmtliche Werke, Édit. Reclam. Tome I, p 508.