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Page:Spenlé - Novalis.djvu/121

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

mort. La douleur ne mord pas sur cet esprit, elle ne peut pas se fixer sur lui. Parfois il l’appelle, il voudrait l’étreindre, la retenir, l’analyser : elle lui échappe toujours. C’est une synthèse affective qui ne parvient pas à se constituer franchement, à l’état pur et isolé, aussi peu dans sa sensibilité morale que dans sa sensibilité physique. Tout réveille une résonance voluptueuse dans son âme, — même la maladie, la tristesse ou l’image de la mort. Cette dernière non seulement n’a rien de redoutable, de farouche à ses yeux, mais au contraire elle cache un aiguillon de secrète volupté. La mort, dira-t-il, « romantise » la vie, elle lui donne un arrière-goût sans lequel l’existence manquerait de saveur. « La vie est le commencement de la mort. La vie est en vue de la mort. La mort est l’accomplissement et en même temps un commencement… Il faut abolir la distinction entre la vie et la mort, annihiler la mort… La mort est une victoire sur nous-mêmes, qui, comme toute victoire, nous procure une existence nouvelle et plus légère… Même l’inoculation de la mort trouvera sa place dans la thérapeutique générale de l’avenir. »[1]

Ce n’est donc pas une idée de destruction, de néant, mais au contraire un rêve de vie exaltée, d’extase et de volupté orgiaque que suscite chez Novalis la pensée de la mort. Il ne faut pas lire dans son Journal intime ou dans ses Hymnes à la Nuit une variante de Werther, il ne faut pas voir dans son suicide philosophique quelque chose d’analogue à ce qu’on appelle en France, depuis Chateaubriand, le « mal de René ». Nous ne sommes pas en présence d’une âme déchirée, en rupture de ban avec la société et le monde, qui se raidit contre sa destinée dans une attitude hautaine, misanthropique, déclamatoire. « Je veux mourir joyeux comme un jeune poète », avait-il écrit, « ma mort doit être le témoignage de ma foi à ce qu’il y a de plus haut, — non une fuite ni un échappatoire. » Ainsi sa foi optimiste en l’i-

  1. Voir N. S. II, p. 4, p. 73, p. 211, et p. 330 « La mort est le principe qui romantise la vie… Par la mort la vie prend plus de relief » etc.