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Page:Spenlé - Novalis.djvu/122

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NOVALIS

déal n’a pas été ébranlée un seul instant ; à l’heure même où il médite sa mort, il sent au-dedans de lui une joie de vivre fiévreuse, insatiable, une puissance d’illusion que rien n’a entamée. Dans le deuil qui le frappe il lit aussitôt une « céleste conjoncture, — une étape miraculeusement nécessaire », un évènement providentiel et opportun. Au cours du premier entretien qu’il avait eu à Leipzig avec son compagnon d’université, Frédéric Schlegel, il avait déjà soutenu avec passion son paradoxe favori : — que le mal n’existe pas, que c’est là une pure illusion et qu’il ne tiendrait qu’à nous de nous trouver dès à présent en plein âge d’or. « Le fond de tout mon être », écrivait-il quelques années plus tard, « c’est le sentiment profond qui m’attache à la vie, la foi et la confiance en tout ce qui est en moi et autour de moi. »[1] Et c’est encore cet inaltérable optimisme qui inspire une de ses dernières notes, écrites d’une main fiévreuse, à l’heure où se précipitaient les symptômes les plus alarmants, où déjà il était marqué du signe de la mort prochaine. « Si je dois tomber malade à présent, je peux utiliser ces heures d’abord pour quelques études scientifiques et techniques, et particulièrement aussi pour l’éducation de mon caractère et de ma foi religieuse, pour la discipline ascétique, morale, religieuse de ma vie… » Il se trace tout un long programme d’occupations. « Mon idée favorite d’une destination terrestre, entièrement bienfaisante pour moi ».

Sans doute cet optimisme plongeait, par ses racines, dans les activités biologiques du poète. Il semble que celui-ci ait contracté, dès sa première enfance, comme une assuétude anormale à la maladie ou, selon sa propre expression, qu’il ait expérimenté sur lui-même « l’inoculation de la mort ». Un autre trait essentiel de sa sensibilité morale, avons-nous vu, c’est cette frénésie idéaliste de la passion, qui brûle son objet dans les flammes mêmes du désir, et qui cherche dans cette immolation, dans cet holocauste mystique la plus ardente des voluptés. De là le caractère « illusoire » que re-

  1. Raich, op. cit., p. 3.