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Page:Spenlé - Novalis.djvu/134

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NOVALIS

Ainsi l’imagination productrice, et plus particulièrement l’imagination poétique, nous entr’ouvre une réalité « supérieure », un monde tout nouveau qui est le monde de la foi romantique. La foi, avons-nous vu, est pour Novalis le fait essentiel, primitif de la vie de l’esprit. Prouver une chose c’est donc simplement nous amener à l’imaginer et à la croire, c’est-à-dire provoquer la conviction par un chemin détourné et plus long. « Ce n’est pas le seul savoir qui nous rend heureux, c’est la qualité propre du savoir, sa constitution subjective. Un savoir parfait s’appelle conviction (Ueberzeugung) et c’est là ce qui nous rend heureux et calmes… Toute vérité prouvée n’est qu’un pis-aller dans notre état encore imparfait de certitude surnaturelle. »[1] Il s’ensuit que l’imagination poétique répond beaucoup mieux à notre véritable aspiration philosophique que la science. Celle-ci, fille du besoin humain et de la pauvreté, selon le mot de Platon, élabore péniblement un ordre de certitudes bien autrement précaires et imparfaites que les certitudes absolues et surnaturelles où l’imagination permet d’atteindre d’un seul bond. Chez Fichte déjà on pourrait trouver en germe la polémique anti-intellectualiste du romantisme. Il assigne à l’intellect un rang tout à fait subalterne parmi les activités du démiurge. « L’intellect, (der Verstand) », dit-il, « est une faculté improductrice, inerte de l’esprit, le simple réceptacle de tout ce qui est et sera déterminé par la Raison, en dépit de toutes les merveilles qu’on a pu conter à ce sujet. »[2] Prolongeant une équivoque, accréditée dans la philosophie allemande par Jacobi et par Kant lui-même, il distingue entre l’« Intellect » (Verstand) et la « Raison » (Vernunft), et réserve cette dernière appellation à une sorte de faculté métaphysique, supra-sensible et supra-intellectuelle, qui se rapproche beaucoup plus de la « Foi » des mystiques, de la divine « Sagesse » ou de la divine « Sophie » des théosophes que de l’intellect

  1. N. S. II, 1. p. 352 et 317.
  2. Fichte, op. cit., I, p. 233.