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Page:Spenlé - Novalis.djvu/135

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L’INTUITIONNISME

scientifique. Les romantiques à leur tour criblèrent de sarcasmes ce que Novalis appelait l’« Intellect pétrifiant » et qu’il figurait, dans le « Mærchen » de Henri d’Ofterdingen, sous les traits d’un scribe grotesque et malfaisant. Seuls le cœur et l’imagination, organes essentiels de la foi poétique ont un pouvoir intuitif et créateur : l’intellect n’est bon qu’à enregistrer leurs géniales improvisations.

La philosophie intéressait en somme ces auteurs surtout par son côté subjectif et génial, pour les jouissances qu’elle procurait à l’esprit, — non pour ses applications réelles. De là leur apologie paradoxale de l’individualité géniale, qui se fait à elle-même son propre monde, et surtout du rêve qui est une vie plus personnelle, plus géniale, plus en dehors du « sens commun ». Car ce qui distingue la veille du rêve c’est moins la vivacité et la cohérence des images, (qui même dans le rêve peuvent s’enchaîner suivant une certaine logique) — que le caractère éminemment « social » de notre pensée de jour. L’homme est seul dans le rêve ; les autres ne sont là que pour lui donner la réplique, pour se charger du rôle que leur assigne son imagination délirante. Il est tellement bien le seul acteur véritable dans cette fantasmagorie, qu’il lui arrive de se transformer subitement dans son propre interlocuteur ou de s’adresser à lui-même des questions et des objections sous une figure étrangère. Au contraire pendant la veille les « autres » existent pour eux-mêmes et non plus comme une projection de nos préoccupations personnelles ; les êtres et les objets prennent un aspect plus indifférent à notre moi. De là vient que si la veille sert de texte à nos rêves, ceux-ci ne peuvent inversement, chez l’homme normal, pénétrer dans l’expérience diurne sans être corrigés tôt ou tard par le « sens commun », c’est-à-dire par la réalité environnante et surtout par l’expérience des autres hommes. Et pareillement la vie dans son ensemble ne peut être assimilée à un rêve dans la mesure où elle prend place dans une expérience collective de l’humanité, représentée et résumée par l’histoire et les sciences.