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Page:Spenlé - Novalis.djvu/136

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NOVALIS

Il n’en est pas de même pour une philosophie intuitionniste, qui s’efforce de trouver dans le seul « sujet », dans les seules données de la conscience individuelle ou du sens intime les critères de la réalité et de la vérité et qui prend son point d’appui dans la pensée géniale du démiurge. « Le monde est un rêve et le rêve est un monde », cette conclusion à laquelle Fichte n’échappait que par une sorte de coup d’état moral, par une série d’affirmations pratiques, les romantiques n’hésitèrent pas à la tirer des prémisses idéalistes de son système. Bien plus, le rêve ne se prête-t-il pas mieux à la jouissance esthétique que toute réalité extérieure et tangible, que toute vérité sociale ou scientifique ? « Tous les événements dans la vie de chaque homme », observe Schopenhauer, « se trouvent engagés dans deux séries entièrement distinctes : d’abord dans la connexité objective et causale du cours de la nature, et ensuite dans une connexité subjective, qui n’existe que pour l’individu lui-même et qui est aussi subjective que ses rêves. »[1] Cette dernière connexité apparaît seule essentielle à l’idéaliste romantique et tout son effort spéculatif tend à ramener la première série à la seconde. À une pareille assimilation de la vie à un rêve tendra aussi toute l’esthétique et toute la philosophie chez Novalis. « Notre vie n’est pas encore un rêve », disait-il, « mais elle doit toujours plus en devenir un. »

On a souvent observé que les néophytes, s’attachant de préférence à ce qu’il y a de paradoxal, d’excessif dans la pensée de leur maître, en exagèrent encore les imperfections, comme à travers un verre grossissant. Ce fut le service que les premiers romantiques rendirent à leur éducateur philosophique Fichte, et peut-on s’étonner qu’il leur en ait su mauvais gré ? L’alliance fut de courte durée. Si, lors de la fameuse accusation d’athéisme portée contre le professeur d’Iéna, les néo-mystiques du romantisme prirent encore fait et cause pour le philosophe persécuté, ce fut surtout en

  1. Schopenhauer, Werke, Édit Reclam. IV, p. 281.