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Page:Spenlé - Novalis.djvu/145

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L’INTUITIONNISME

fois remarqué, dans une sphère inférieure, chez certains calculateurs prodiges. Il peut évoquer et embrasser du regard des « séries » énormes et percevoir d’un seul coup d’œil leurs innombrables relations.

Et cependant ces dons restent chez Novalis à peu près improductifs. C’est que l’extraordinaire mobilité et aussi une certaine faiblesse irritable de l’attention l’empêchent de se soumettre à aucune discipline. Les résultats scientifiques ou philosophiques se trouvent anéantis par un épuisement rapide et par l’incapacité de s’astreindre à un travail intensif et méthodique. Il en arrive même à ériger en principe cette incapacité d’aboutir, à prendre pour une réelle supériorité philosophique cette facilité à poser partout des points d’interrogation, à ouvrir sans cesse, dans une parenthèse, des problèmes nouveaux et puis à passer outre, sans même essayer de les résoudre, s’émerveillant le premier des mystères qu’il se forge lui-même à plaisir. Après avoir admiré chez Fichte l’esprit de système absolu, il finit par rejeter de plus en plus tout effort vers l’unité intellectuelle, à définir simplement la philosophie : « une Idée mystique, éminemment active, qui nous pénètre de part en part et sans relâche nous pousse dans tous les sens. »[1]

L’auteur ne se faisait du reste aucune illusion sur la réelle portée de pareilles improvisations. « Une partie de mes fragments », dit-il, « est complètement erronée, une autre partie est sans valeur, encore une autre est « louche » (schielend). Ce qui se trouve entre parenthèses est tout-à-fait problématique et, sous la forme actuelle, inutilisable. »[2] Ailleurs il prévient charitablement ses futurs exégètes : « Celui qui veut prendre à la lettre de pareils fragments est peut-être un homme foncièrement honnête, mais qu’il ne se donne pas pour poète. Faut-il toujours être raisonnable ? »[3] Il y a donc une part de mystification très consciente dans cet intuition-

  1. N. S., II, 1, p. 54.
  2. N. S., II, 1, p. 295.
  3. N. S., II, 1, p. 32.