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Page:Spenlé - Novalis.djvu/146

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NOVALIS

nisme fragmentaire, qui s’exprime en boutades paradoxales, en formules énigmatiques et oraculaires, qui cherche à éblouir plus encore qu’à éclairer. D’ailleurs le fragment philosophique n’autorise-t-il pas certaines licences ? C’est la forme assurément la moins dogmatique de toutes, la forme préférée de ceux qui cherchent, tâtonnent et devinent, qui n’ont pas encore trouvé. « Comme fragment la pensée imparfaite s’exprime après tout de la manière la plus supportable. Cette forme doit donc être recommandée à quiconque n’a pas encore entièrement tiré au clair sa pensée et a cependant déjà quelques aperçus intéressants à présenter. »[1] Et puis le paradoxe, la mystification même ont une certaine utilité biologique. Ce sont des piments intellectuels, qui donnent plus d’attrait à la recherche, une variété raffinée de l’ironie philosophique, qui tient l’esprit en éveil, l’empêche de s’engourdir dans des conceptions routinières, dans une sorte d’automatisme mental. Les pensées les plus triviales et les plus plates gagnent à être relevées par un assaisonnement de mysticisme et inversement les plus chimériques paradoxe, recèlent un grain de vérité, de bon sens et peuvent être utilement assimilés, pourvu qu’ils soient présentés et goûtés « cum grano salis ». — Après avoir défini la méthode, voyons les résultats. —

Qu’est-ce d’abord que la philosophie ? Les idées de Novalis à ce sujet semblent s’être peu à peu modifiées. Ses premiers cahiers philosophiques nous le montrent encore complètement plongé dans les recherches de métaphysique transcendante. Une singulière confusion, à laquelle la philosophie de Kant n’était pas étrangère, tendait à se perpétuer entre la connaissance « abstraite » et la connaissance « métaphysique ». Que devait être en effet la métaphysique pour l’auteur des Prolégomènes, à supposer qu’elle fût un jour réalisable ? Une connaissance toute a priori et abstraite, tirée de concepts « purs », c’est-à-dire libres de tout

  1. N. S., II, 1, pp. 295-296.